dimanche 6 mars 2011

Le ressort est cassé - Par Pierre MOSCOVICI

 Billet Paru sur le blog de Pierre Moscovici :
http://www.pierremoscovici.fr/2011/02/11/le-ressort-est-casse/

Elu de la nation, j’ai cru de mon devoir de regarder le « face à face » entre Nicolas Sarkozy et des Français sur TF1. Franchement, je regrette un peu d’avoir assisté, de bout en bout, à cet étrange débat. Quelques mots, toutefois, pour résumer mon sentiment.
Le format de l’émission, tout d’abord, était très factice. Je lis, ce matin, que certains de ses participants ont été « frustrés » de ce faux débat. On les comprend ! Le présentateur, Jean-Pierre Pernaut, a été fidèle à son personnage : il n’était pas là pour être gênant ou impertinent, mais pour laisser le Chef de l’Etat parler. Celui-ci, plus calme qu’à l’ordinaire, a peu écouté ses interlocuteurs, esquivé les questions les plus sensibles – j’ai été frappé par l’absence de tout discours, de toute pensée de sa part sur l’économie, l’éducation, l’innovation, qui sont pourtant au coeur des réponses à apporter à la croissance – il a récité laborieusement ses fiches, déroulant un interminable monologue. Enfin, disons-le, je n’ai pas le sentiment que ses interlocuteurs – guère mis en valeur, peut-être intimidés – aient été choisis pour le mettre en difficulté. Résultat : un ennui prodigieux, un show ringard et poussiéreux.
Le contenu de l’échange, ensuite a été d’une singulière pauvreté. Nicolas Sarkozy voulait d’abord se poser en « Président protecteur », s’expliquer, se justifier, il avait en main peu d’annonces concrètes, il ne proposait aucune inflexion ou réflexion saillantes. Tel un vieux crooner, il s’est contenté d’égrener ses vieux tubes droitiers – la sécurité, la vidéo-surveillance, les jurés populaires, l’échec du multiculturalisme et la volonté de favoriser un « Islam de France » au détriment d’un « Islam en France » : ce n’est pas de nature à convaincre son électorat, lassé de l’absence des résultats de ce mandat, mais bel et bien à aviver encore les pulsions nationales-populistes, bref à nourrir l’extrême-droite. Ses ouvertures sur la dépendance, sur la santé ou sur l’emploi étaient à la fois minces et floues, ses justifications sur la paupérisation de l’éducation – à ses yeux nécessaire compte tenu du contexte budgétaire – n’avaient aucune force. Enfin, ses appréciations sur les vacances de ses ministres étaient pour le moins faiblardes. On attend, encore, par ailleurs, le début d’une parole audible de sa part sur la poussée démocratique en Tunisie et en Egypte.
L’impression finale est donc triste, voire glauque. Je n’ai jamais sous-estimé Nicolas Sarkozy : il a des qualités indéniables, on ne devient pas Président de la République par hasard, sa fonction n’est pas facile. Il m’arrive aussi d’écrire, comme tout le monde, qu’il est un médiocre dirigeant mais qu’il sera un bon candidat. Pour la première fois, hier, je me suis interrogé. Le Chef de l’Etat paraissait lui-même s’ennuyer, il semblait las, sans énergie, sans plaisir, presque dépourvu de combativité. Son numéro, rôdé, tournait à vide, faute de conviction. La pauvreté, habituelle, de son langage, son caractère répétitif et familier laissaient transparaitre l’absence absolue de tout projet, de toute vision, de toute dimension. J’ai même cru, à observer le relâchement de son « body language » – son attitude corporelle – et la lassitude de son regard, qu’il baissait les bras, qu’il n’y croyait plus vraiment.
Evidemment, rien n’est fini, rien n’est joué. Mais je suis persuadé que ce type de prestation ne réconciliera pas Nicolas Sarkozy et les Français. Elle va au contraire exaspérer davantage ceux qu’il a trahis, irrités ou déçus. Le quinquennat se poursuit, l’élection présidentielle n’est pas jouée, la gauche doit la traiter avec sérieux. Mais ce Président est plus que prenable, il ne devrait pas être réélu : le ressort, en tout cas, est cassé.

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