jeudi 30 août 2007

Discours d'Arnaud Montebourg à Frangy en Bresse

Frangy-en-Bresse est devenu le lieu de toutes les avant-garde et anticipations politiques ! Cette fête populaire enracinée dans cette Bresse qui nous a donné une nouvelle fois la victoire, accueillait l’an passé Ségolène Royal qui y accomplit ses premiers pas vers la primaire.

Il fallait en cette année d’échec pour la gauche que Frangy, dont je rappelle toujours qu’on se dispute pour venir à sa tribune, soit offerte à ces député(e)s, hommes et femmes, issus des urnes du mois de juin, qui codirigent ensemble la nouvelle opposition à l’Assemblée nationale, et formant pour la première fois depuis longtemps un contre gouvernement.

Une opposition qui pointe les abus, les excès de pouvoirs, les défaillances ou dysfonctionnements du pouvoir est une opposition utile au pays et à l’intérêt général parce qu’elle amène le gouvernement à mieux se comporter dans l’utilité de tous. Elle est utile au présent quand elle est ferme. Une opposition qui contre propose est une opposition de préparation de l’avenir. C’est ce que nous avons, autour du président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, entrepris de faire.
Nos invités ? Ce ne sont pas les jeunes qui voudraient remplacer les anciens : parce que nous ne sommes plus si jeunes, et surtout parce que les anciens sont irremplaçables ! Parce que avant tout la politique ne consiste pas à se soustraire mais au contraire à s’additionner les uns les autres !

Nos invités ? Ce sont des parcours et des trajectoires différentes qui montrent la diversité du socialisme contemporain. Ils ou elles portent des idées qu’ils rêvent de voir émerger ; ce sont des êtres engagés parfois jusqu’à la passion, et qui mettent leur talent au service de notre cause commune : Philippe Martin, député du Gers, Sandrine Mazetier, députée de Paris, Manuel Valls, député de l’Essonne, Aurélie Filippetti, députée de la Moselle, Gaëtan Gorce, député de la Nièvre.
Ils ont eu ensemble des désaccords comme j’ai pu en avoir, mais aujourd’hui ils savent qu’il faut construire ensemble un projet nouveau pour la gauche ; ils savent qu’il nous faut affronter les questions embarrassantes que la société française nous a mis sous les yeux et qu’il nous a coûté si cher d’esquiver.
Ils veulent comme nous tous offrir au pays un parti de la réforme et du mouvement en état de marche et en état cette fois de nous faire gagner !

Car je ne crois pas que l’aventure dans laquelle Nicolas Sarkozy emmène la France puisse déboucher sur de quelconques bienfaits pour le pays.
Il a abord décidé de capter tous les pouvoirs, le sien propre agit par extension et débordement sur celui de tous les autres : le Premier ministre est dépossédé de ses prérogatives constitutionnelles, les ministres ont disparu des écrans radars, ils sont désormais remplacés par les hommes du cabinet de l’Elysée dont le porte parole de l’Elysée, le secrétaire général de l’Elysée, et même l’épouse du Président, tous inaccessibles au contrôle parlementaire, échappant à toute mise en jeu de leur responsabilité et à toute reddition des comptes, contrairement aux règles fixées par la Constitution du 4 octobre 1958, c’est à dire ce qui tient de loi suprême entre tous les Français.
Aucun Président, quel qu’il soit, ne peut recevoir mandat du peuple de s’affranchir de la Constitution. Il peut recevoir mandat de la modifier, certainement pas celui de ne pas la respecter.
Quoi qu’il en soit, un homme seul faisant tout a plus de chance de mal faire qu’une équipe qui délibère un tant soit peu.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’humanité toute entière a inventé des Constitutions afin d’éviter ce genre de dérives, et précisément dans le but que des Républiques constituées en droit ne se transforment en Monarchie de fait, qui se termine toujours mal.

Mais vous me direz qu’il a peut-être une utilité collective à ce que nous puissions tolérer de tels excès ?
Il faut alors revenir au pacte implicite noué avec les Français par l’actuel Président.
Il avait promis de protéger le monde du travail, qui l’avait en partie cru et suivi. Il avait promis de défendre le pouvoir d’achat, il avait promis du travail en plus, de la protection contre les délocalisations, il avait même promis aux petits retraités une hausse de 25 % en plus ! Il était allé chercher pour fabriquer ses discours de campagne tout le Panthéon du socialisme du 20ème siècle ! Jaurès, Blum et tous les nôtres, déclarant que la gauche était devenue inutile pour défendre et protéger le salariat, ce dont il la proclamait désormais incapable, pour mieux s’autoproclamer défenseur des classes les plus oubliées du peuple !

Le pouvoir d’achat ? Mais qui ne voit qu’il est rogné de tous côtés par les hausses phénoménales des prix que chacun a pu constater. Ces hausses sont à rapporter au refus gouvernemental de revaloriser le SMIC et l’allocation de rentrée scolaire. C’est un fait, les salaires ne permettent plus à ceux qui travaillent de se nourrir, se loger, se vêtir ni même payer une rentrée scolaire correcte à ses enfants. Le pouvoir d’achat souffre surtout des promesses non réalisées du Président de la République et qui ne le seront probablement jamais, comme les intérêts d’emprunts immobiliers. La promesse était anticonstitutionnelle donc impossible à réaliser. Les emprunteurs en seront pour leurs frais.

Les heures supplémentaires ? Je vois ici, dans les usines, les établissements privés ou publics, nombre de salariés qui travaillent dur, qui ne parviennent pas à se les faire payer. Et je vois ces millions de Français qui travaillent à temps partiel pour qui il n’y aura jamais d’heures supplémentaires.

Et j’entends ces retraités venir me chuchoter à l’oreille qu’ils ne s’en sortent plus, me demandant de réanimer les promesses mortes du Président en campagne.
Le seul pouvoir d’achat qui pour l’instant a été soutenu, stimulé, alimenté, encouragé, avec un activisme sans précédent, c’est celui des hautes fortunes et des grands patrimoines !
La redistribution des cadeaux fiscaux à la clientèle la plus huppée de l’UMP fut tellement généreuse au mois de juillet qu’elle s’est faite à crédit, par l’emprunt, en aggravant la situation de l’endettement du pays qui poursuit sa course à la verticale !

Les déficits se font désormais concurrence les uns aux autres : 120 milliards de dette de la sécurité sociale ; 29 milliards (soit 17 % de plus que l’année passée) de déficit de la balance commerciale. Même le président de la Cour des Comptes, Philippe Seguin, est venu dire son inquiétude devant la Commission des finances de l’Assemblée nationale au sujet d’une dette publique qui devait atteindre 61 % du PIB, du jamais vu depuis la Libération !
Le plan de redressement et d’austérité est malheureusement inéluctable. La seule incertitude concerne sa date, le pouvoir parviendra-t-il à la différer jusqu’à l’après mois de mars 2008, date des élections municipales.
Il frappera les ménages, les retraités, les malades, les petits salaires par la mise à contribution massive sous forme de taxes, franchises, hausses de TVA, qui paieront les déficits aggravés par le clientèlisme inconsidéré de celui qui nous gouverne.
Le pacte implicite noué avec les classes populaires ayant soutenu le Président Sarkozy, qui promettait de redonner du prix et de la valeur au travail des Français restera à ranger au rayon des promesses sans lendemain. Ce sont alors des sacrifices qui seront imposés au plus grand nombre après en avoir épargné les quelques privilégiés qui auront fait sa fortune et sa gloire...

Et ne croyez surtout pas que cette bulle médiatique artificielle et habilement entretenue par l’Elysée qui fait défiler chaque jour le spectacle présidentiel ininterrompu d’une vie privée inintéressante, aux signes extérieurs de richesse aussi dérisoires que clinquants, passionnerait les Français ! Au contraire, elle amuse la France, la divertit au sens pascalien du terme, mais elle ne pourra en rien faire oublier la gravité des problèmes à résoudre dans le pays...
Monsieur le Président de la République a déclaré « mon seul souci c’est Cécilia ». Et bien, laissez-moi vous dire, Monsieur le Président, que notre seul souci à nous autres c’est la France et les Français.

En attendant, la France a besoin d’une gauche forte, se tenant aux portes du pouvoir, prête à exercer les responsabilités, non pas seulement pour épargner au pays les excès et les impérities de l’aventure sarkozyste mais surtout pour poursuivre la réalisation de sa mission dans l’histoire, la réalisation des valeurs égalitaires et de justice qu’elle porte, tout comme cet idéal démocratique qu’elle transporte de générations en générations depuis la Révolution Française, puis passant à travers la révolution industrielle pour traverser les tragédies de notre histoire où elle a su être au rendez-vous des hommes et des femmes qui souffraient.
La gauche appartient au patrimoine national et nul ne peut prétendre l’en exclure, elle est une part de l’âme de la Nation, car elle en a assumé une part importante de sa cohésion.
Pourquoi Nicolas Sarkozy pourrait-il chercher à nous en exclure ou à nous en faire sortir, en s’attribuant pour lui même tout ou partie de sa représentation ? parce qu’il sait son soutien du pays de courte durée ; surtout parce que nous lui en avons laissé le loisir ; parce que nous ne sommes pas assez préoccupés de réaliser concrètement les valeurs que nous tenons de notre propre histoire, ni de convaincre nos concitoyens que nous pouvons inscrire ces valeurs dans la réalité quotidienne de leur vie concrète.

Voilà pourquoi ce n’est plus une simple rénovation de façade qu’il nous faut entreprendre, mais une redéfinition de la gauche, de son identité (à quoi sert la gauche) ; de son projet (quels sont ses objectifs) ; et de ses méthodes d’action (comment va-t-elle le faire ).
Cela demandera un travail d’ampleur sans précédent, et il y faudra beaucoup de courage, à l’image des remises en cause accouchées lors du passage de la SFIO au PS en 1972.
C’est un Epinay moderne qu’il nous faut assumer. Car la gauche n’est nullement condamnée à être quasi révolutionnaire dans ses discours et défenseur du statu quo dans ses actes.
Elle a vocation à convaincre une vaste majorité des Français à la suivre dans des réformes profondes crédibles et justes, pourvu qu’elle s’occupe plutôt que protéger ses tabous dans une cage de verre, d’entendre les citoyens dans ce qu’ils vivent réellement et leurs aspirations qu’il y forment.

Allons-nous nous condamner nous-mêmes par exemple à une défense conservatrice du modèle social français ?
A ne pas le réformer dans ses structures et intérêts corporatistes, nous laissons à la droite libérale le champ libre pour convaincre la population d’abandonner jusque et y compris ce que ce modèle offre de plus juste et de plus solidaire.
La progression considérable de l’espérance de vie, le maintien des inégalités devant la mort et devant la retraite, l’explosion du financement de la dépendance des personnes âgées, devront nous conduire à défendre et proposer courageusement une répartition plus équitable des efforts entre les catégories socio-professionnelles.
Les inégalités existent, la gauche doit -c’est sa mission- s’y attaquer et ne pas laisser les salariés les plus exposés à la précarité, à la pénibilité des tâches, aux maladies professionnelles dans les métiers les plus difficiles, sans droits et sans porte paroles, pendant qu’elle se contenterait de défendre seulement des situations acquises.
Nous pourrions ainsi parfaitement assumer en liaison avec le fil ininterrompu de nos valeurs, des positions plus claires et plus justes à l’égard du système par répartition, en proposant l’alignement des régimes spéciaux sur le régime général en échange de meilleurs droits pour la classe ouvrière la plus exposée, dont l’espérance de vie est la plus faible, et qui sera la grande oubliée de la prochaine réforme des retraites qu’engagera la droite !

Nous ne sommes pas davantage condamnés à défendre l’organisation actuelle de l’Education nationale, bureaucratique et centralisée, qui affirme avec force les principes d’égalité devant l’éducation mais réalise l’exact contraire en laissant les enfants des familles les moins chanceuses sur le sable de l’échec scolaire.
L’Education nationale repose sur le dévouement des enseignants, d’ailleurs sous payés, isolés et trop peu soutenus, mais accumule malheureusement des contreperformances sociales, reproduisant les inégalités sociales en inégalités scolaires qui doivent préoccuper la gauche.
Contrairement à la droite qui organise son dépérissement, par la suppression de postes par dizaines de milliers, la gauche doit proposer de réorganiser en profondeur l’Education nationale afin d’assurer la prise en charge individualisée des élèves et leur rattrapage, autonomiser les établissements en leur permettant de recruter leurs équipes pédagogiques en fonction du public des élèves, évaluer en permanence les performances sur service public sur le terrain de la lutte contre l’échec scolaire, revoir le statut des professeurs, redéfinir leurs missions, revaloriser leur traitement et... ainsi lutter avec l’argent public pour donner à chaque enfant de France un métier et une profession : c’est à ce prix que la gauche sera créditée de refaire fonctionner l’ascenseur social.

Faire sortir la gauche des corporatismes, c’est l’amener à quitter l’addition des intérêts particuliers, pour la ramener dans le champ trop abandonné de l’intérêt général.
Cette évolution de notre part doit être mise sur la table d’une discussion commune avec les organisations syndicales et nous donnerait beaucoup de force et de poids pour défendre ceux que la droite s’apprête à faire les victimes injustes de ses réformes.
Nous sommes encore moins condamnés à passer éternellement pour des naïfs, perdus dans l’angélisme et incapables de voir la réalité de la progression de la violence dans la société.
Là où Nicolas Sarkozy fait écrire et voter une loi supplémentaire à chaque fois qu’un fait divers survient, montrant lui-même son impuissance politique, nous seront ainsi plus forts pour vérifier sur le terrain et dans la réalité concrète que l’appareil judiciaire est bien capable de réagir et de ne rien laisser passer.
Aux lois creuses, proclamatoires et inappliquées de la droite, nous préférons des sanctions bien réelles dès les premiers actes de transgression.
Affirmer sans détour cette autorité de la loi, c’est pouvoir enfin nous lancer dans la lutte contre les causes de la montée de la violence : la dérégulation de la télévision, la progression spectaculaire de la violence sur le petit écran, le maintien et le non démantèlement d’une économie souterraine, l’extrême pauvreté comme horizon indépassable pour les laissés pour compte de la société.

Enfin, nous ne pouvons accepter d’être en permanence accusés de sous développer la France au motif que nous mépriserions l’économie.
Les socialistes que nous sommes doivent chercher une bonne fois pour toutes les voies et les moyens de se réconcilier avec l’entreprise, surtout en ces temps difficiles de désindustrialisation.
Car la création et le développement des entreprises sont de l’intérêt bien compris des travailleurs et... des chômeurs.
Défendre et protéger nos entreprises, c’est ce que nous nous efforçons de faire sur nos territoires respectifs.
Mais cette ligne de conduite doit inspirer des politiques publiques profondément nouvelles et qui restent à inventer, en amenant l’État à remettre les mains dans le cambouis de la machine économique.
La clé de nos propositions doit être la différenciation de nos mesures, régulatrices, réglementaires et fiscales.
Nous donnons aujourd’hui aux très grandes entreprises des milliards d’aides, de ristournes. Ce sont celles qui détruisent le plus d’emplois sur le territoire national, délocalisant et se précipitant vers la Chine ou l’Inde.
A l’inverse, nous ne soutenons nullement nos petites entreprises, appartenant à cette économie enracinée, qui ne parviennent pas à se financer, à salarier et à se développer.
Une fiscalité comportementale est à inventer ! Plus une entreprise créé de l’emploi, plus elle distribue de bons salaires, plus elle se lance dans la recherche et l’innovation, plus elle doit obtenir des bonifications et encouragements fiscaux. Plus elle s’en éloigne, moins elle doit en obtenir.
L’État doit imaginer ainsi de nouveaux outils lui permettant de mettre de la volonté politique en face de l’économie et en négociation permanente avec elle. Toutes les puissances industrielles ont fait ce travail, c’est aux socialistes de réarmer la politique là où la droite préfère toujours s’en remettre aux forces désastreuses mais qu’elle croit encore vertueuses du marché.

Et tout cela sur fond d’obligation impérieuse de protéger la planète et de faire face à la crise climatique laquelle devra nous amener à reconsidérer tous nos comportements, celui de producteur industriel, agricole comme celui de consommateur que nous sommes tous.
Les équilibres sur lesquels fonctionne aujourd’hui l’économie mondiale en seront bouleversés : la remontée très forte du prix de l’énergie et des coûts de transport rendront de plus en plus difficile et couteux la localisation des usines dans des lieux exotiques, à 10.000 km de lieux de consommation que sont nos supermarchés. On produira de plus en plus près de l’endroit où l’on consomme.
Les socialistes européens doivent s’emparer de ce retournement et ce changement de donne, en faisant du rehaussement des coûts du transport international par les airs, les mers ou la terre, l’outil de protection de l’environnement comme stimulant à la relocalisation sur nos territoires européens d’industries, parties trop loin faire la fortune de leurs actionnaires.

Vous voyez que les socialistes ne sont pas dépourvus d’idées nouvelles, de sujets de créativité et d’objets de proposition !
L’arme des idées est l’arme de la reconquête ! C’est sur celles-ci que nous ferons porter l’essentiel de nos efforts. Car c’est pas les idées et les conceptions que nous avons de la France, de l’Europe, et du monde que nous reprendrons le coeur des Français.
C’est par la force de notre esprit que les Français nous referons confiance.
Ce travail a commencé aujourd’hui à Frangy-en-Bresse !

Arnaud Montebourg
35ème fête populaire de Frangy-en-Bresse
le 25 août 2007